HÉLIANTHUS 
SOCIETE D'AVOCAT
 



COMMUNAUTE UNIVERSELLE ET CLAUSE D'ATTRIBUTION INTEGRALE AU CONJOINT SURVIVANT : COMMENT LES ENFANTS SONT-ILS PROTEGES DU CHANGEMENT DE REGIME MATRIMONIAL DE LEURS PARENTS ?

La protection des héritiers réservataires face à l'adoption de la communauté universelle ou face à une clause d'attribution intégrale au conjoint survivant


 

PARTIE I : Effet concret du changement et cadre légal

 

 

I.1. Le cadre légal des changements de régime matrimonial et le rôle du notaire

 

Le droit français, régi par l'article 1397 du Code civil, autorise les époux à modifier leur régime matrimonial, y compris pour adopter la communauté universelle, à condition qu'ils aient respecté un délai de deux ans d'application de leur régime initial.

Le changement doit impérativement être conforme à l'intérêt de la famille.

Le notaire, en tant qu'officier public, joue un rôle essentiel de conseil. Il lui incombe d'évaluer les avantages et les inconvénients du nouveau régime, s'assurant que l'intérêt familial est respecté. Bien que l'intérêt familial puisse parfois se confondre avec celui des époux, il ne doit pas être manifestement préjudiciable aux enfants. Le notaire a l'obligation d'informer les enfants majeurs de la modification envisagée et de recueillir leur identité et adresse.1

Si l'un des époux est placé sous une mesure de protection juridique (tutelle ou curatelle), l'autorisation préalable du Juge des contentieux de la protection, agissant en tant que juge des tutelles, ou du conseil de famille, est nécessaire pour valider le changement.1

 

I.2. Effet concret de la communauté universelle et de la clause d'attribution intégrale (CU/CAI)

 

L'adoption du régime de la communauté universelle a pour effet de faire tomber l'intégralité des biens des époux (meubles et immeubles, présents et futurs, y compris ceux acquis avant le mariage ou reçus par donation ou succession) dans la masse commune.

Le passage d'un régime de séparation de biens à la CU est le plus transformateur, car il intègre l'ensemble des biens propres. Le passage de la communauté légale des meubles et acquêts à la CU est également très significatif, car il incorpore les biens propres reçus par donation ou succession dans la masse commune, biens qui auraient été exclus sous le régime légal. Ces transferts constituent l'avantage matrimonial.

La Clause d'Attribution Intégrale (CAI), souvent insérée dans le contrat de communauté universelle, produit un effet successoral radical : au décès du premier époux, la totalité du patrimoine commun est attribuée au conjoint survivant en pleine propriété.

de facto reportée au second décès, privant les enfants de tout droit immédiat sur le patrimoine.

Il est crucial de noter que la jurisprudence confirme que la CAI ne constitue pas une libéralité (donation ou legs).

Le tableau ci-dessous synthétise les effets principaux de la modification du régime :

Tableau I : Comparatif des Régimes et Effets de l'Attribution Intégrale

Régime Matrimonial Initial Transformation des Biens Nature de l'Avantage Matrimonial (AM) Conséquence Successorale Majeure (Au premier décès)
Séparation de Biens Intégration de tous les biens, y compris Propres. AM Maximal. Transmission de 100% des biens au survivant, sans ouverture de succession.
Communauté Légale Intégration des Biens Propres (reçus par donation/succession) AM Modéré à Fort. Transmission de 100% des biens au survivant, sans ouverture de succession.

 

PARTIE II : Protection des enfants communs (nés de l'union)

 

Les enfants issus des deux époux bénéficient d'une protection essentiellement préventive, car la loi considère que l'avantage matrimonial qui bénéficie au conjoint survivant ne porte qu'une atteinte différée à leur réserve héréditaire. Étant les héritiers universels du couple, ils récupèreront l'intégralité du patrimoine au décès du second parent.

 

II.1. Le contrôle et l'information ante mortem (art. 1397 c. civ.)

 

La protection des enfants communs repose principalement sur le contrôle de l'intérêt de la famille par le notaire.1 En pratique, lorsque les parents sont unis dans la volonté de protéger leur conjoint survivant, le notaire reconnaît souvent la légitimité de l'objectif de sécurisation du train de vie du survivant, ce qui est généralement assimilé à l'intérêt de la famille.

Le notaire est tenu d'informer les enfants majeurs de la modification envisagée. Cette obligation d'information est complétée par une mesure de publicité.

 

II.2. Le droit d'opposition des enfants majeurs de l'union

 

Le changement de régime matrimonial doit faire l'objet d'une publication par avis dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans l'arrondissement ou le département du domicile des époux.

L'article 1397 alinéa 2 du Code civil permet aux enfants majeurs, qu'ils soient communs ou issus d'une première union, de faire opposition à cette modification s'ils estiment qu'elle porte préjudice à leurs droits. Le délai pour notifier cette opposition au notaire, par acte extrajudiciaire, est de trois mois à compter de la publication.1

Si une opposition est formée dans ce délai, les époux ne peuvent pas finaliser le changement de régime par la seule voie notariée. Ils doivent obligatoirement soumettre leur projet à l'homologation du Juge aux Affaires Familiales (JAF) ou du Tribunal Judiciaire. Le juge analysera alors si le changement est justifié par l'intérêt de la famille, en dépit de l'opposition.

Le droit d'opposition confère une garantie de publicité et de discussion, mais ne constitue pas un droit de veto absolu. Si l'opposition des enfants communs est jugée abusive ou si le juge estime que la modification est objectivement dans l'intérêt de la famille (protection du foyer, maintien des ressources), l'homologation sera accordée. Le délai court de trois mois est relativement court, ce qui exige une grande réactivité de la part des enfants informés.


 

PARTIE III : Protection des enfants d'un premier lit : l'action en retranchement (art. 1527 C. civ.)

 

Contrairement aux enfants communs, les enfants nés d'une précédente union sont directement menacés dans leur réserve héréditaire, car l'avantage matrimonial (CU/CAI) détourne du patrimoine du de cujus des biens qui auraient dû leur revenir au titre de leur réserve. Leur protection post-mortem est assurée par l'Action en Retranchement (AER).

 

III.1. Fondement juridique et limite de l'avantage matrimonial

 

L'AER est expressément prévue par l'article 1527 alinéa 2 du Code civil. Cette action est réservée aux enfants non issus des deux époux.

L'objet de l'AER est de limiter l'avantage matrimonial reçu par le conjoint survivant à la mesure de ce que l'époux décédé pouvait lui disposer par libéralité, conformément aux règles de la quotité disponible spéciale entre époux (QDS) prévues par l'article 1094-1 du Code civil.5

L'article 1094-1 C. civ. donne au conjoint survivant le choix entre trois options maximales :

  1. La pleine propriété de la quotité disponible ordinaire (variable selon le nombre d'enfants).

  2. L'usufruit de la totalité des biens existants.

  3. Un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit.

Si l'avantage matrimonial conféré par la CU/CAI (souvent 100% en pleine propriété) excède la QDS permise par l'une de ces options, l'AER permet de retrancher l'excédent.

 

III.2. Le calcul de l'excédent : le principe de la double liquidation

 

La détermination de l'excédent réductible nécessite une méthodologie comptable et successorale complexe, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment Cass. Civ. 1ère, 19 septembre 2019, n° 18-21.948).

Cette évaluation implique une double liquidation :

  1. Liquidation Fictive du Régime Matrimonial : Il faut déterminer la masse de biens qui serait tombée en succession si le contrat de mariage CU/CAI n'avait pas existé ou n'avait pas été modifié. Cette opération permet de calculer la part théorique (la moitié) des biens du défunt et de faire les comptes de récompenses (règle des créances entre masses de biens).

  2. Liquidation de la Succession : Sur la masse successorale ainsi reconstituée, il convient de calculer la Quotité Disponible Spéciale (Art. 1094-1 C. civ.) que le défunt pouvait légalement attribuer à son conjoint.

L'avantage matrimonial est ensuite comparé à cette quotité disponible maximale. Le montant de la réduction correspond à la différence positive entre l'avantage réel reçu et le maximum légal. Le tribunal judiciaire a justifié le fait que cette première opération est "incontournable pour évaluer l'éventuelle réduction au profit des enfants".

 

III.3. La nature de la sanction et ses conséquences judiciaires

 

L'aboutissement de l'action en retranchement est, en principe, la création d'une créance d'indemnité due par le conjoint survivant aux enfants réservataires d'un premier lit.

Les héritiers réservataires sont donc des créanciers de l'indemnité de retranchement en argent, et non des titulaires de droits indivis sur les biens immobiliers du patrimoine commun.

La Cour de cassation a précisé ce point (Cass. Civ. 1ère, 7 décembre 2016, n° 16-12.216) en censurant les juges du fond qui avaient ordonné un partage judiciaire immédiat au motif que l'indemnité de retranchement pouvait s'exercer en nature et créer une indivision. La Cour a jugé que les bénéficiaires de l'AER ne pouvaient revendiquer de droits indivis avec le conjoint survivant sur les biens de la succession pour justifier un partage judiciaire.

Ce caractère monétaire de la créance d'indemnité présente un risque pour les enfants d'un premier lit, car le conjoint survivant, désormais plein propriétaire de l'intégralité du patrimoine, pourrait organiser son insolvabilité ou dilapider les actifs immobiliers, rendant la créance illusoire.

Il est également établi par la Cour de cassation que l'action en retranchement est distincte d'une action en nullité de la convention de changement de régime matrimonial. Le rejet définitif d'une action en nullité n'empêche pas la recevabilité d'une action en retranchement ultérieure, car les deux actions ont un objet différent. L'action en retranchement, se concentrant sur l'excès mathématique, est souvent plus aisée à mettre en œuvre que la démonstration d'une intention frauduleuse ou dolosive.


 

PARTIE IV : Modalités pratiques de mise en oeuvre et contours procéduraux

 

IV.1. Procédure, juridiction compétente et coût de la représentation

 

L'action en retranchement est une action en justice de nature successorale et patrimoniale.

  1. Juridiction : L'instance doit être portée devant le Tribunal Judiciaire (TJ) du lieu d'ouverture de la succession.

  2. Représentation : Le recours à un avocat est obligatoire devant le Tribunal Judiciaire pour intenter cette action.

  3. Coûts Prévisibles : Le coût global est significatif. Il comprend :

    • Les honoraires d'avocat (très variables, souvent entre 250 € TTC l'heure pour une consultation ou au forfait pour la procédure).

    • Les frais d'expertise judiciaire, souvent nécessaires pour réaliser la "double liquidation" du patrimoine et évaluer précisément les récompenses.

 

IV.2. Délai de Prescription et Point de Départ

 

L'action en retranchement est assimilée à l'action en réduction des libéralités excessives.

  1. Délai applicable : Le délai de prescription est de cinq ans.

  2. Point de départ : Conformément à la loi et à la jurisprudence, ce délai court à compter de la date d'ouverture de la succession, c'est-à-dire le décès de l'époux de cujus (celui qui a consenti l'avantage matrimonial).

La Cour de cassation justifie ce point de départ précoce par le fait que les conditions de l'action en retranchement sont réunies dès le premier décès.

 Il est impératif pour les enfants d'un premier lit d'agir dans ce délai quinquennal après le décès du parent, sous peine d'être forclos, en application des règles issues de la loi du 23 juin 2006.

 

IV.3. Durée de la procédure et alternative préventive

 

La durée d'une procédure d'AER est longue, car elle implique obligatoirement des opérations complexes de compte, liquidation, partage et expertise.

Il faut généralement compter plusieurs années (souvent entre deux et cinq ans) pour obtenir un jugement définitif en première instance, sans compter un éventuel appel.

Pour les époux souhaitant sécuriser l'avantage matrimonial contre le risque d'AER, l'article 1527 alinéa 3 offre une solution préventive : la possibilité pour les enfants d'un premier lit de renoncer de façon anticipée à l'action en retranchement (RAAR). Cette renonciation doit respecter un formalisme très strict, calqué sur celui de la renonciation anticipée à l'action en réduction (Art. 930 C. civ.) : elle doit être établie par acte authentique spécifique reçu par deux notaires, dont l'un est désigné par le président de la chambre des notaires, et doit mentionner précisément les conséquences juridiques pour le renonçant.

Tableau II : Protection des Enfants : Forme et Délais

Catégorie d'Enfants Mécanisme Principal Base Légale Moment d'Action Délai de Prescription/Opposition Nature du Recours
Enfants Communs (Majeurs) Droit d'Opposition au changement Art. 1397 C. civ. Antérieurement au décès

3 mois à compter de la publication de l'avis

Acte extrajudiciaire/Judiciaire (TJ)
Enfants d'un Premier Lit Action en Retranchement (AER) Art. 1527 & 1094-1 C. civ. Postérieurement au décès

5 ans à compter de l'ouverture de la succession

Judiciaire (Tribunal Judiciaire)

 

PARTIE V : Synthèse juridique et conclusions

 

 

V.1. Récapitulatif des textes fondamentaux

 

Article du Code Civil Objet Application Principale
Art. 1397 Modification du régime matrimonial (Contrôle notarial, opposition).

Protection ante mortem et condition de validité du changement de régime.

Art. 1527 al. 2 Action en retranchement des avantages matrimoniaux excessifs.

Protection post mortem exclusive des enfants d'un premier lit contre l'empiètement sur la réserve.

Art. 1094-1 Quotité disponible spéciale entre époux.

Plafond légal de l'avantage matrimonial utilisé pour le calcul du retranchement.

Art. 921 Délai de prescription de l'action en réduction/retranchement.

Fixe le délai de 5 ans à compter du décès du de cujus.

 

V.2. Conclusions et recommandations stratégiques

 

L'adoption de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale est un instrument puissant de protection du conjoint survivant, mais qui ne peut s'affranchir complètement des règles d'ordre public de la réserve héréditaire en présence d'enfants d'un premier lit.

Pour les enfants d'un premier lit, l'Action en Retranchement est le seul mécanisme curatif efficace. Il est essentiel de comprendre qu'il s'agit d'une action complexe, nécessitant la "double liquidation" du patrimoine pour déterminer l'excédent de l'avantage matrimonial. La réduction s'opère en principe par le biais d'une créance monétaire, ce qui oblige les enfants à être vigilants quant à la solvabilité du conjoint survivant. La brièveté du délai de prescription (cinq ans à partir du décès) impose une grande réactivité, d'autant plus que l'ignorance du régime matrimonial ou l'inaction peut mener à la forclusion.

Pour les enfants communs, la protection est préventive et indirecte. Leur droit est principalement celui de s'opposer au changement ante mortem dans un délai de trois mois, mais cette opposition est jugée par le Tribunal au regard de l'intérêt général de la famille. L'absence d'action en retranchement pour cette catégorie d'enfants s'explique par la nature différée de leur droit, qui sera intégralement réalisé au second décès.

Recommandation pour les Époux : Si les époux souhaitent garantir la pleine efficacité de la CU/CAI face à des enfants d’un premier lit, la solution la plus sûre juridiquement est de solliciter la renonciation anticipée à l'action en retranchement (RAAR) des enfants concernés, par un acte notarié très strictement encadré par les articles 930 et 1527 alinéa 3 du Code civil.

Enfin, il est à noter que si le conjoint survivant est exonéré de droits de succession sur les biens reçus par la CAI, l'exercice réussi de l'AER par les enfants du premier lit entraîne la réintégration de l'excédent dans la masse successorale du défunt. Cette fraction réintégrée redevient transmissible et peut donner lieu au paiement des droits de succession pour les bénéficiaires.
 


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